Festival
ManiFeste-2012 : l'intrigue du temps
Comment se constitue une intrigue temporelle, qu'elle soit sonore, littéraire, théâtrale ou visuelle ? Comment surgit le nécessaire ou le vraisemblable du successif ? La création de l'attente et de l'imprévisible engage tout à la fois le concepteur, l'interprète et le spectateur. En 2012, cette intrigue du futur au sein du présent se joue dans la chorégraphie écrite et improvisée de Thomas Hauert, dans le montage sonore et dansé d'Alban Richard et de Raphaël Cendo, dans les cours du temps de la musique de Philippe Manoury dont ManiFeste-2012 trace le portrait en plusieurs éclats. Pionnier de l'informatique musicale, Philippe Manoury accomplit à soixante ans une synthèse de son art et de son esthétique. Ses œuvres instrumentales et électroniques, comme ses écrits, provoqueront le débat avec la jeune génération, celle de Yann Robin ou Johannes Maria Staud, et avec des chercheurs proches comme le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux : dialectique entre rigueur et liberté, perception des formes et organicité de l'œuvre, enjeu essentiel de la mémoire et de l'invention musicale dans notre société. Autre invité de ManiFeste-2012, Luca Francesconi pense son métier comme l'expression d'une narration et l'émergence d'un sens musical. L'auteur de Plot in fiction, d'Etymo d'après Baudelaire, de Quartett d'après Heiner Müller, est en cela héritier direct de Luciano Berio.
L'intrigue du temps doit se réécrire aujourd'hui à partir des avancées scientifiques et technologiques. Notre présent est marqué par le dialogue continu et immédiat entre l'information et le corps. Une information immense, confuse, non triée, d'une part ; des interfaces et des médiations de plus en plus petites ou inexistantes, d'autre part. La possibilité de capter et analyser notre comportement en « temps réel » permet potentiellement d'anticiper les besoins (cf. l'industrie, la médecine, la politique), de réduire l'imprévisible sans pour autant l'abolir. La puissance de l'anticipation impose donc la nécessité de l'interprétation. Interpréter, c'est conférer une signification à une masse de données qui en est jusque-là dépourvue. Précisément, l'interprète de l'avenir outrepasse les séparations historiques et les segmentations contemporaines, à l'instar de ce que réalise une nouvelle génération de musiciens invités pour la première fois par l'Ircam (le chef et compositeur Thomas Adès, le pianiste Jean-Frédéric Neuburger...). Stratégies temporelles du musicien, temps de l'anticipation du cerveau et de l'informatique, temps de la fiction et du montage cinématographique, temps orienté du physicien, temps inexistant et produit du mathématicien : ces conceptions distinctes du temps peuvent-elles trouver les conditions d'un dialogue ? Au cœur de ManiFeste-2012, le colloque international « Produire le temps », organisé par l'École normale supérieure, l'École Polytechnique et l'Ircam, associe les contributions d'artistes et de chercheurs en mathématiques, informatique, philosophie, sciences cognitives et sciences humaines. De « l'interprétation des temps » au « temps de l'interprète », dans une multiplicité d'esthétiques dissemblables, ManiFeste-2012 convie à une nouvelle école du sensible.
Frank Madlener